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LA  FOSSE ou l’ultime voyage

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Résumé de l’œuvre :

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Dans ce récit dense et pudique d’une exhumation, Jean-François Amblard ausculte la mémoire des Républicains Espagnols en s’attachant aux pas d’un fils parti à la recherche de son père fusillé en 1946 et jeté dans l’une des fosses communes de Franco.

Ce récit romancé nourri d’une documentation historique rigoureuse conduira le lecteur de l’Ardèche à l’Espagne, puis de façon surprenante à la Crète, où l’auteur, s’appuyant sur les travaux d’historiens anglais, dévoile l’Odyssée crétoise méconnue des Républicains espagnols sous l’uniforme britannique.

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Article écrit par l'auteur de LA FOSSE :

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   Comme tout conflit, la guerre civile espagnole (1936-1939) a entraîné des déplacements massifs de population dont le plus spectaculaire a été après la chute de Barcelone la Retirada à la fin de l’hiver 1939 : l’armée Républicaine fait retraite vers la frontière des Pyrénées pour échapper aux représailles des vainqueurs franquistes et à la captivité. Cette retraite militaire se double d’un exode de civils qui trouvent en France un refuge précaire et provisoire. 

Juan et Manuel, les deux frères campés dans le roman, sont emportés dans le même fleuve humain qui les dépose sur une plage du Roussillon transformée en camp de prisonniers. Si cet exode est d’une certaine façon un voyage, il n’a rien d’un dépaysement volontaire ou d’une quête d’exotisme. Ils ne recherchent ni l’un ni l’autre le divertissement ou la découverte enchantée d’horizons différents. Leur voyage est un exil. Cet exil, ils ne l’acceptent pas. Leur existence tout entière est façonnée par la question qui fonde leur engagement : où et comment continuer le combat contre le fascisme qui les a chassés de leur terre natale ? 

A cette interrogation fondatrice, les deux frères apportent une réponse à la fois semblable et différente. Juan, l’aîné, reste le plus près possible du pays perdu : livré à l’arbitraire des camps de travail en France non encore occupée, il entre dans la Résistance pour préparer le retour des Libérateurs, une armée populaire reconstituée qui chassera Franco et rétablira la République Espagnole. Cette tentative échouera : la libération du Val d’Aran à l’automne 1944 ne durera que quelques jours, l’implantation de maquis quelques années à peine avant leur annihilation. Si Juan rentre en Espagne, c’est pour y trouver la mort. Il laisse en France son enfant à naître et sa femme qui l’adjurait de ne pas retourner en Espagne mourir dans un combat sans issue. Fin du voyage qui s’épuise en un aller-retour tragique. 

Manuel, le cadet, s’émancipe de la tutelle fraternelle et choisit de s’éloigner. Il refuse de moisir dans les camps, il s’engage dans l’Armée française, plus précisément dans la Légion Etrangère, pour continuer à se battre contre le fascisme et les armées de l’Axe, Allemands et Italiens, partout où ils se trouvent. La Légion n’est pas là pour combler des fantasmes frelatés d’aventure et d’exotisme, elle est pour Manuel l’instrument de la Revanche et de la Reconquête. Elle est sa Brigade internationale à lui. Il y retrouvera d’autres Républicains espagnols dont certains, devenus les plus célèbres, seront regroupés dans la compagnie La Nueve de la Deuxième Division Blindée du Général Leclerc qui libèrera  Paris en Août 1944. 

Le voyage continue : après le désastre de 1940, la compagnie de Manuel où sont regroupés les Espagnols est affectée en Syrie sous mandat français. La guerre se déroule ailleurs, en Lybie… Révolté contre l’inactivité de l’Armée d’armistice et craignant d’être livré à Franco, Manuel décide ses camarades à passer en Palestine proche, sous mandat britannique, avec la promesse de se battre enfin à nouveau. Les Anglais incorporent Manuel et ses camarades dans les Commandos du Proche-Orient où ils forment une unité distincte commandée par un officier britannique. Ils sont envoyés en Crète en Mai 1941 pour couvrir la retraite de l’Armée britannique qui rembarque en laissant une partie de ses soldats promis à la captivité. Manuel échappe à l’encerclement, il est recueilli, épuisé,  par une famille crétoise et rejoint les rangs de la résistance locale.  

L’Odyssée de Manuel est aussi un voyage intérieur ; l’Apocalypse qu’il traverse est à proprement parler une révélation : il devient Crétois parmi les Crétois, apprenant leur langue, adoptant leurs mœurs et leurs vêtements. Il épouse une Crétoise, mais ne peut oublier qu’il fut Espagnol. A la fin de la guerre et de l’occupation allemande, l’officier anglais qui est l’agent de liaison avec la Résistance Crétoise, le convainc qu’un retour en Espagne est impossible : trop loin, trop dangereux. Et à trop habiter en dehors de sa langue maternelle, il ne la retrouve plus quand cinquante ans plus tard, il rencontre des touristes Espagnols dans les gorges de Samaria. Il en reste muet de saisissement. Manuel n’est pas Ulysse, il ne reverra jamais son Ithaque. Son voyage est un aller simple. 

Un autre voyage parcourt le roman : la quête du père perdu. Thomas, le fils de Juan, le neveu de Manuel, n’a connu ni son père ni son oncle. Poussé par sa mère, il part à la recherche du corps de Juan, enterré dans l’une des fosses du Franquisme. Les déplacements professionnels incessants de Thomas le géologue préparent ce départ du fils pour l’Espagne qu’il n’a jamais connue. Cet autre voyage intérieur, non plus celui de la métamorphose crétoise de Manuel en Manoli, mais celui de la mémoire obstinément réhabilitée, ce retour des cendres, s’achève le jour de l’exhumation de Juan et de sa résurrection. Ce même jour, par une étrange et symbolique concordance des temps, Manuel meurt en Crète, entouré par les sentinelles vigilantes que sont les chèvres libres de la Crète, «â€¯vêtues de leur robe de deuil, juchées sur les rochers ocres et blancs, (elles) montaient autour du corps de Manuel comme une garde austère et solennelle »… 

Avant de retourner à la fosse, il reste un dernier voyage à accomplir, celui de l’amour naissant de Thomas pour Maria José, car tout voyage commence par un premier pas. Certes, la destination n’est pas indifférente, mais c’est moins le but qui compte que le chemin, aussi creusé d’ornières soit-il… 

Et quelle est la condition du voyage pour nous qui sommes de quelque part, sinon ce besoin de racines qui nous permettent de nous aventurer ailleurs, de même que l’arbre ne peut déployer ses ramures que s’il s’enfonce en terre ? 

 

Jean-François AMBLARD  

Pau, le 2 Janvier 2020 

 

 

LA FOSSE, Editions Cairn, Pau, 2008 

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